Une vie passée à se friser la moustache
A 54 ans, Fabrice Prati, le graphiste du JEF, a gardé une curiosité et une joie d’enfant qui nourrissent sa créativité et irriguent notre journal. Voici son parcours.
Si le jef a été relifté en profondeur pour le meilleur voici deux ans, c’est en grande partie grâce à lui. Fabrice Prati, 54 ans, est une pointure dans son domaine. Quand on croise le graphiste du JEF, on ne l’oublie pas tant sa bonne humeur, semblant perpétuelle, est contagieuse. Souvent soulignée par les volutes d’une cigarette roulée, sa moustache à la D’Artagnan donne d’emblée au quinquagénaire un air sympathique en diable de personnage de bédé.
Une vocation précoce
C’est d’ailleurs le « neuvième art » qui l’a poussé vers sa vocation professionnelle. « Gamin, je passais mon temps à dessiner et à lire des bandes dessinées. Les adultes semblaient époustouflés et me disaient que j’avais du talent. Ça m’a encouragé à continuer. » Le gamin a de qui tenir. Son papa, un Lombard expatrié en Suisse, a lui-même une fibre artistique aiguisée puisqu’il était photographe professionnel. « Maman est lausannoise pur jus et mère au foyer. J’étais le petit dernier. Ma grande sœur a sept ans de plus que moi et entre nous, il y a eu un frère. Mais je ne l’ai pas connu car il est mort d’un cancer à l’âge de 3 ans… J’étais en un sens ’’l’enfant réparateur’’ mais cela ne m’a jamais pesé. »
Fabrice Prati a souvent senti la chance à ses côtés et il confesse que c’est peut-être bien à ce frère trop tôt disparu qu’il la doit. A l’heure où de plus en plus de gens doivent enchainer les stages de développement personnel pour trouver leur « chemin de vie » sur le tard, le Montreusien a emprunté le sien tout naturellement à 15 ans en se lançant dans un apprentissage de graphiste à Gland, où il a grandi. C’était chez Bernard Bavaud, graphiste, désormais devenu un sculpteur bien connu à Clarens. « Ce furent quatre années de bonheur. Bernard est devenu un ami et un second père avec qui je suis toujours en contact.»
Déjà deux fois grand-père
Suivront quelques années dans une grande agence de pub de la place lausannoise. A mille lieues de la société hygiéniste et bien-pensante d’aujourd’hui, la créativité y est débridée, les cigarettes toujours de sortie et le politiquement correct sagement tapis au fond du placard. « Un âge d’or un peu fou et assez rock & roll ! » L’indépendance arrivera en 1990 avec l’ouverture de son atelier à Nyon, puis au rez de sa maison de Clarens. C’est là, inspiré par la vue plongeante sur le Léman et avec la présence apaisante de son boa « Kaa », qui serpente paresseusement dans un grand terrarium, que Fabrice Prati crée et vit sa passion au quotidien. Côté vie privée, le Vaudois est du genre précoce aussi. A 21 ans, le voilà papa d’une petite fille aujourd’hui âgée de 33 ans et qui a déjà fait de lui par deux fois un jeune grand-père. Une autre femme que sa mère, mènera Fabrice Prati à s’installer sur la Riviera. C’est là qu’il en rencontrera une troisième, la bonne. Giovanna lui donnera une fille et un fils, âgés respectivement aujourd’hui de 21 et 18 ans. Elle est professeure de yoga.
Les jeunes l’adorent
« J’ai toujours eu la chance de faire les bonnes rencontres au bon moment. Je cultive la joie de vivre et je la transmets », constate sur le ton de l’évidence le graphiste du JEF. Ses mandats sont autant d’occasion de nourrir son insatiable curiosité et son besoin d’échanges véritables. Notre homme est épris de liberté et d’indépendance, on l’aura compris. C’est aussi un épicurien crachant rarement sur un bon cru et ne rechignant jamais à concocter des bons petits plats pour ses nombreux amis.
A l’occasion l’artiste va faire partager sa passion dans les écoles primaires et professionnelles. Les collégiens ou apprentis qui l’écoutent en ressortent souvent enthousiastes. Croiser un adulte qui est lui-même et ne fait pas dans la langue de bois, les bouscule. Peut-être ces jeunes en sortent-ils avec l’idée qu’il n’est pas nécessaire de rentrer totalement dans le moule pour réussir et précisément que la véritable réussite ne se mesure ni au compte au banque ni à la notoriété mais plutôt à cette capacité à « se friser les moustaches » dès que l’occasion se présente…
Laurent Grabet